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L’Afrique réapproprie sa culture
Voici une brève analyse du comportement du monde culturel face aux aléas sécuritaires.
Depuis 3 ans l’Afrique culturellement parlant est en panne. En panne financièrement car la conjoncture économique a frappé de plein fouet ce milieu. Baisse drastique de financement, retrait de plusieurs ONG et bailleurs de fonds, disparition pure et simple de certains festivals (danse, musique, cinéma…). Mais ce n’est pas nouveau, les acteurs culturels n’ont pas pour autant baissé les bras. Ils ont réajusté leurs politiques culturelles en réalisant plusieurs œuvres de bonnes qualités à moindre coup. Ce qui a permis d’éclater l’art dans toute sa diversité. La jeunesse s’en est accaparée avec l’avènement du numérique etc. Mais ce qui est encore en train de plomber notre culture, c’est le terrorisme pour ne pas dire de façon péjorative le « jihadisme » diversement perçu par certains.
Je voudrais circonscrire mon propos sur les activités culturelles de la sous-région, notamment en Afrique de l’Ouest, une zone que j’apprivoise culturellement parlant. Après trois années sincèrement difficiles, les festivals, les concerts, les spectacles de théâtre ou de danse sont en train de reprendre le dessus sur les tensions sociales et religieux.
Le Mali est le pays qui a été profondément touché par ces tensions lugubres causées par cette nébuleuse secte terroriste. L’attentat qui a frappé par exemple l’hôtel Radisson Blu le 20 novembre 2015 et bien d’autres enlèvement et explosions aura quelque peu freiné les élans de cohésion sociale de la Biennale Africaine de la Photographie. Elle avait été mise de côté depuis 2012 à cause de ses attentats. En rappel sachez que la biennale est la première manifestation culturelle d’envergure internationale à se tenir à Bamako. Elle n’a pas pu se tenir en 2013 pour des raisons de crises politiques et sécuritaires. Cette fois-ci c’est l’Etat dans sa globalité qui a apporté sa participation financière.
J’ai rencontré le délégué général des Rencontres de Bamako Samuel Sidibé qui m’a dit ceci ; « Lorsqu’il y eu l’attentat au restaurant LA TERRASSE en mars 2015, nous avons douté. Mais cela ne nous a jamais amenés à nous dire « on arrête ». On est y est arrivés et j’en suis vraiment satisfait ». Imaginez vous jusque là, le Mali avait un agenda culturel bien garni et une richesse à faire pâlir d’envie bien des pays de la sous-région. Je peux vous en énumérer quelques uns. Le festival au désert à Essakane (près de Tombouctou) en janvier, le festival sur le Niger en février à Ségou, le festival Tamadacht à Andéraboukane (près de Ménaka), le festival des rails à Kayes-Médine-Tamba, Etonnant Voyageurs, les Tamani, Rencontres de Bamako…ce dynamisme était à l’image du showbiz du pays avant 2010 aujourd’hui, le pays tente de relever la tête malgré les ceintures d’explosifs qui déambulent les rues. Admettons tout de même que les premiers enlèvements d’Occidentaux ont jeté un discrédit sur la pérennité de ces manifestations.
Reconnaissons néanmoins que depuis 2015, la culture semble être au diapason d’un Mali, d’un Niger, d’un Burkina, d’une Côte d’Ivoire qui se relève timidement. Pour les maliens, c’est devenu une tradition à la « on reste debout ». Fin octobre 2015, Tiken Jah Fakoly installé au Mali, avait organisé la première édition du festival historique du Manding dans le village de Siby. Tout c’est bien passé.
Au Burkina, la situation est assez ambigüe, les activités culturelles fonctionnent en dents de scie. On essaye de ne pas y penser depuis le drame du 15 janvier au Cappuccino et à Splendid Hôtel. Les 12 PCA avaient été reporté et finalement, ils ont eu lieu dans une certaine quiétude. La zone mortuaire, reste difficilement praticable. Même ceux qui vont à « Taxi brousse », ont de la peine à s’éclater ouvertement car juste à côté, les stigmates du sang trainent toujours. C’est la rue secondaire de KK qui serait en train d’être pris d’assaut par les rombières grâce à cet Hôtel Bravia (5 étoiles) qui vient d’être construit. Les festivals n’ont pas été fondamentalement annulé, bien au contraire, ça se créé de partout.
C’est surtout l’Institut Français qui a renforcé… alors là… renforcé sa sécurité. Même un rat terroriste ne peut pas s’infiltrer ! Le festival Rendez-vous Chez Nous de Boniface Kagambega, a tenu son pari, le FIRHO d’Augusta Palenfo a fait salle comble partout. Les spectacles de Pâques se sont déroulés dans le désordre oubliant quelque peu la sécurité. La SNC à Bobo-Dioulasso a rendu ardu le travail des gendarmes sur le site pendant la foire et à la Maison de la Culture. Mais tout s’est bien passé sur le plan sécuritaire. Les KUNDE, Jazz à Ouaga, le FESCUDA…se préparent docilement avec des partenaires financiers avares.
En Côte-d’Ivoire, c’est l’opération séduction qui est en branle du côté du pays d’Houphouët Boigny suite aux attentats à Grand-Bassam. Le gouvernement a déroulé tout son artillerie en matière de communication pour redonner la joie et la vie sur cette zone balnéaire tant prisé par les Occidentaux. Pourtant le Marché des Arts et du spectacle africains (MASA) a tenu toutes ses promesses jusqu’au dernier jour.
Connaissant l’ivoirien, rien ne peut les empêcher de festoyer ! Pendant que ces infortunés terroristes faisaient leur salle besogne à Grand Bassam, Yopougon, Marcory ou encore Koumassi vibraient aux rythmes du coupé-décalé et zouglou. Preuve que la vie continue et plus encore, que le message des ennemis d’Allah ne passera jamais. Qu’à cela ne tienne, le festival de reggae continu à refuser du monde et le FEMUA se prépare en toute assurance sans aucune forme de pression et de trac.
Au Niger, on a appris à vivre avec la peur. Les zones des festivals sont délimitées certains ont préféré se délocaliser. Mais qu’à cela ne tienne, les concerts vont bons train dans la capitale. Des artistes comme la gabonaise Pamela Badjogo installée au Mali est attendue là-bas ou encore le chanteur nigérian Wizkid qui a joué au Mali le 14 novembre dernier, se prépare pour affronter la scène du Niger.
Je reste néanmoins optimiste quant à ce monde artistique qui réinvestit la rue et je salue sincèrement les initiatives des organisations comme l’UNESCO qui, contre vents et marrées lutte d’arrache pieds pour la conservation de notre patrimoine. La dernière en date, c’est le CERAV/Afrique (Centre régional pour les arts vivants en Afrique) qui a donné le top de départ de ses activités le 28 mars 2016 à Bobo-Dioulasso. Ce Centre est le fruit d’une volonté d’offrir à l’Afrique une structure d’appui à la convention de l’UNESCO portant sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles.
Ce même UNESCO qui a d’ailleurs brillamment participé au processus de reconstruction des mausolées des saints de Tombouctou au Mali détruits pendant l’occupation des trois régions du Nord par les groupes jihadistes en 2012. Ils ont été reconstruits grâce à l’UNESCO en partenariat avec le ministère de la culture, de l’Artisanat et du tourisme du Mali et également par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifiques. Les travaux se sont finalisés en 2015 et cela a permis de refaire à l’identique, selon les pratiques de maçonnerie traditionnelle, les quatorze mausolées gravement endommagés.
Je ne peux que saluer ce regain d’énergie dans le milieu culturel malgré nos larmes qui ne finiront jamais de couler.
Jabbar !