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PHOTO : Manga caractéristiques de quelques scarifications moosi sur le visage

Les moosi sont un peuple du Burkina Faso venus du Gambagha au Nord du Ghana actuel.

Selon la tradition orale des Moosi de Manga, c’est Rialé, le père de Ouédraogo qui aurait donné à son fils, le premier, les scarifications afin de le reconnaître parmi d’autres personnes ; ceci à cause des réticences de son père Nédega à son union avec Yennega. Plus tard, la pratique se généralisa à tout le Moogo. L’article tentera de faire d’abord un aperçu sur l’histoire du royaume mooaga. Ensuite, situera l’origine des scarifications au Moogo et donnera les caractéristiques de quelques scarifications moose. L’image graphique de quelques scarifications sera exposée ainsi que la signification des ces scarifications qui constituent une pratique de l’écrit oralisé.

Bref aperçu de la zone d’étude : Manga dans la province du Zoundwéoogo
Manga est le chef lieu de la province du Zoundwéogo située au sud est du Burkina Faso.
Selon la tradition, c’est la zone où le prince successeur du futur Moogo Naba était élevé pour être imprégné des usages de la tradition.
La province compte en majorité des moosi, mais aussi des peul, forgerons etc... C’est une zone culturelle forte du Moogo. Notre enquête s’est déroulée dans cette zone culturelle3.

Méthodologie d’enquête
Notre démarche méthdologique a consisté à faire des enquêtes sur la base d’un questionnaire en focus groupes avec les enquêtés. Nous avons eu recours à un appareil photo pour visualiser les exemples de scarifications. Nous reproduisons ces exemples sur un support papier en respectant exactement les détails des scarifications. Nous avons procédé à des entretiens individuels pour mieux cerner les caractéristiques et significations des scarifications.
Nous avons aussi procédé à une recherche documentaire. Malheureusement, on ne retrouve pas beaucoup de travaux faits au Burkina sur cette pratique.

Origine des scarifications
Comme nous l’avons précisé à l’instroduction, l’origine des scarification ethniques de tous les moosi remonte du temps de la naissance de OUEDRAOGO le fondateur du royaume des moosi.
Selon d’autres sources historiques, les cicatrices du peuple moaaga datent de Naba Oubri entre le XI ème et XII ème siècle.6 Sous son règne, il étendit Oubritenga par les armes, vers les contrées de Ouagadougou, Yako, Koudougou etc..Les habitants des villages désireux d’éviter la lutte contre le puissant chef se firent les cicatrices y compris les personnes âgées sous la protection de l’autorité de Naba Oubri. Lorsque les guerriers de Naba Oubri se présentaient devant ces villages, le port des cicatrices suffisait à assurer la paix de ceux-ci.

Caractéristiques de quelques scarifications moosi
Nous avons, chez les moosi, plusieurs types de scarifications. Nous traduisons quelques uns les plus saillants du visage :
A. les scarifications sur le visage
Les princes Nakombse ont le droit de porter sur la partie droite du visage une cicatrice oblique descendant de la partie médiane du nez vers le menton.
Quand aux princesses Napogse, elles portent cette même cicatrice oblique des princes mais sur la partie gauche du visage

Scarifications ornementales
Ces sont des séries de petits traits horizontaux formant des sortes de colonnes le long des pommettes. Ces scarifications sont seulement portées par les hommes. Elles sont interdites aux nobles.
Les femmes portent des cicatrices obliques (deux ou trois) sur le menton partant des lèvres. Les femmes nobles portent une sorte de croix sur la pommette gauche.

Les scarifications communes des moosi
Ce sont deux séries de trois lignes qui encadrent le visage.
Les marense portent trois petites cicatrices convergentes vers le coin externe de chaque œil.

Importance sociale des scarifications chez les moosi de Manga

Les cicatrices permettaient une classification sociale divisant la société en nobles, princes ou esclaves selon le type de scarifications que l’on porte.
1. Le Marende  : ce sont des cicatrices de la beauté, de l’élégance qui consistent à faire deux ou trois traits horizontaux sur la tempe. Ce terme Marende renvoit aux marense (teinturiers d’origine Sonrhaï) qui sont une catégorie socio professionnelle des moosi. La relation avec cette couche sociale n’est pas ressortie dans les explications des dépositaires de la tradition de Manga. Mais ailleurs la référence aux marense est très probable.
2. Le wiifu du Nakombga : ce sont les cicatrices exlusivement réservées aux princes qui consiste à faire deux scarifications du visage à partir de la joue au menton l’une à droite, l’autre à gauche ;
3. Le lemde ou scarification du menton qui est sous forme d’une croix au menton
4. Le dedendga est une forme de scarification qui consiste alterner verticalement et horizontalement trois scarifications à gauche et à droite des pommettes.
Toutes ces scarifications sont faites par un spécialiste scarifieur.

B. Les scarifications sur les autres parties du corps et des dents
1. Youbl dayaka ou les scarifications du cou  : ce sont des scarifications que l’on fait sur le cou.
2. Pug wii ou scarifications du ventre : ce sont des scarifications que l’on fait sur le ventre d’où le terme puga qui désigne le ventre chez les moosi. Elles se caractérisent par trois cicatrices verticales en haut du nombril, trois en bas du nombril, trois scarifications horizontales à gauche, et trois à droite.
3. Les scarifications des dents ou limage des dents : qui consistent à tailler les incisives supérieures et inférieures jusqu’à les rendre pointues.

C. Scarifications propitiatoires
1. Dog n kii wii : ce sont les scarifications que l’on fait sur les nouveaux nés morts. Ce sont les laada ou fossoyeurs qui procèdent à ces scarifications sur ces nourrissons défunts. Ceci permet de reconnaitre ensuite les mêmes scarifications sur le nouveau né de la femme qui perd ses enfants en bas âge. Sur un autre plan, Maurice Houis décrit bien ce phénomène de la donation du nom chez les moose7. En banalisant l’enfant avec les ordures, il peut ainsi échapper à la convoitise des mauvais génies.

D. Les instruments de scarifications
Il y a selon les régions plusieurs types d’instruments que l’on utilise pour procéder aux scarifications. Chez les moosi de Manga, l’instrument le plus usité est le Pongo, qui est une espèce de couteau en forme triangulaire muni d’un manche.
Ce sont les forgerons ou Sããba qui fabriquent cet instrument. Les forgerons sont les maîtres du fer et disposent d’une certaine puissance dans le royauma moaaga. Le forgeron impose de manière similaire son autorité entre les acteurs d’un conflit communautaire. C’est pourquoi le forgeron est nanti d’un pouvoir de demander pardon dans la société moaaga. Il ne juge pas. Il ne pardonne pas au sens propre. Il impose une suspension des offenses, l’arrêt des représailles,l’échange formel des excuses. Sa capacité de prononcer des interdictions relève d’un champ
déterminé de faits sociaux.
L’acte de scarifier est public et fait du scarifieur une personne habilitée en raison de ses connaissances techniques mais aussi symboliques.
Ceux qui pratiquaient les scarifications étaient des hommes d’expérience, il fallait aussi un apprentissage au bout duquel on pouvait être apte à les pratiquer. Il fallait du courage et de l’adresse (du doigté) pour ne pas rater sa tâche.
Avant de pratiquer les scarifications, les parents du candidat apportaient un plat de mil traditionnel en terre neuve, du sorgho blanc, du sorgho rouge pour la cérémonie.
Après l’épreuve de scarification, on mettait le médicament dans le plat à terre afin de soigner le candidat qui était soit un enfant ou adolescent. Le médicament était composé de beurre de karité, du bûndu feuilles d’un arbuste qui sert à préparer la sauce. La composition du médicament était à base de cendres (de la fumée noire) qui servait à cicatriser la plaie. Généralement au bout d’une ou deux semaines au plus tard, la plaie était guérie.

L’image graphique des scarifications

Les scarifications ont une certaine présentation que nous essayons de matérialiser à travers ces croquis.

1. Le Marende

2. Le wiifu du Nakombga

3. Le lemde ou scarification du menton

4. Le dendenga

5. Scarifications du cou

6. Scarifications de femmes

7. Scarifications de femmes nobles

L’écrit oralisé : signification des scarifications moose

En scrutant les formes scripturales des scarifications, il faut dire que cette écriture faciale peut être décomposée en figures notamment en signes géométriques divers combinés.
Les scarifications font l’objet d’une codification. En effet, un ensemble scarifié constitue un texte, même court soit-il. C’est ce que nous avons montré plus haut et que nous allons approfondir.
Il y a enfin une relation entre les scarifications et l’oralité, parce qu’il sont lus, interprétés ou commentés oralement. Nous avons donné des exemples corrélés de textes et de scarifications.

Il faut dire que toutes ces scarifications ont une signification profonde pour les moosi. Le premier, le Marende est une scarification de parures pour embellir le visage. Ce qui montre que les moosi étaient attachés à un sens aiguë de l’esthétique. Il y a le terme « nagre » en moore qui désigne le fait de se rendre beau ou belle. La nature des scarifications wiifu du Nakombga rappelle une histoire personnelle, un rang social, la noblesse des Nakombse, et même cela peut être étendu à l’appartenance de classe d’âge ou de clan. Il s’agit donc uniquement des Nakombse c’est à dire des princes qui sont autorisés à avoir ce type de scarification (wiifu) dont nous avons expliqué plus haut les caractéristiques.
Par ailleurs, le wiifu du Nakomga renvoie à une hiérachisation dans la société moaaga. Cela montre que le royaume moaaga repose sur des strates sociales qui vont de la naissance biologique à l’identification sociale aux signes extérieurs du « naam ». Le dendenga ou scarification du cou renvoie aussi à une forme de scarification d’ordre plutôt esthétique.
Il faut dire que ces scarifications moose correspondaient à une forme d’écrit oralisé d’autant plus qu’en examinant ces scarifications on pouvait savoir de quelle ethnie provenait la personne, un moaaga, un Bisa, un Gurunsi, un Bwaba, un Gourmantché etc..
Rappelons qu’avant lorsque un moaaga était scarifié, on savait qu’il appartenait au groupe moaaga qui était composé des éléments suivants :

  • les Nakomse ou fils de chef, ce sont des princes ou issus de la famille royale ;
  • les yarse
  • les forgerons
  • les griots, etc.
  • - le talga qui était un homme ordinaire qu’on peut assimiler au roturier.

Il faut rappeler qu’avant la colonisation, les Gurunsi et les Busancé étaient exposés à
l’esclavage. Ils pouvaient être capturés et vendus par d’autres personnes. Du temps de Naaba Oubri, lorsqu’on était scarifié, on échappait aux exactions, bref, on était protégé. Il faut dire que les scarifications, comme une carte d’identité permettaient de protéger les moose de l’esclavage avant la colonisation et après la colonisation.
Les scarifications ont une valeur identitaire certaine avec l’évolution, de nouvelles charges symboliques se sont exprimées.

Avec la guerre du Mali contre la Haute Volta en 1974, les gens craignaient des représailles contre leur enfants. C’est ainsi qu’ils les ont scarifiés pour éviter qu’ils ne subissent par mégarde la vindicte populaire de gens extrémistes.
Paradoxalement, il faut dire que dans la région de Manga, qu’après 1974, les populations n’ont plus pratiqué les scarifications.

Pourquoi cette rupture ?
Selon nos informateurs, les prêtres ont interdit les scarifications avec l’arrivée des pères blancs. L’administration coloniale s’en est aussi mêlée et pensait que les scarifications étaient des coups et blessures sur les mineures sans défense. C’est pourquoi les gens ont cessé de les pratiquer.
Cette pratique a aussi connu un grand recul avec le départ des jeunes burkinabè qui allaient en aventure en Côte d’Ivoire. Sous le prétexte de s’identifier aux natifs, et d’échapper sans doute aux traccasseries, ils refusaient de se faire scarifier afin de ne pas être davantage marginalisés.
Par ailleurs, de nos jours, certaines filles ne veulent plus des hommes qui portent des scarifications et vice versa. Sans doute les canons esthétiques ont-ils changé pour eux avec certaines influences extérieures ?
La valeur est ainsi en perdition dans la tradition moaaga. Cependant, il faut espérer un sursaut identaire pour éviter de perdre totalement les richesses de cette pratique culturelle ne serait-ce qu’en sauvegardant par écrit le sens des scarifications pour les générations futures ainsi que l’humanité tout entière.

Conclusion

Nous avons tenté à travers notre article de montrer les différentes formes et caractéristiques de scarifications qui existent chez les moose du Burkina Faso particulièrement à Manga. Les scarifications avaient une valeur identitaire avant la colonisation et avec la colonisation et les indépendances, la pratique tend à disparaitre. Cependant dans les campagnes du plateau moaaga, il y a des populations qui pratiquent encore la scarification. C’est une minorité qui
s’inscrit dans le processus de sauvegarde d’une pratique culturelle menacée.
Les scarifications consituent de l’écrit oralisé. En effet, c’est une forme d’écriture qui permet de situer l’ethnie d’une personne, son rang et sa classe sociale, et parfois son âge.
Les scarifications proclament la personne aussi bien que diverses identités de groupe (statut social ou ethnie) et l’adéquation à une circonstance (travail, festivité, deuil et autres). Les scarifications peuvent constituer un des indicateurs les plus sensibles du changement social et de l’influence culturelle. L’appartenance ethnique avait aussi des signes extérieurs, qui étaient souvent des scarifications.
Finalement on peut dire que les mots des scarifications ont deux réalisations (signifiants) pour un signifié : une orale et une écrite mais corporelle.
Ce travail est une contribution à la connaissance des pratiques traditionnelles des populations moose du Burkina Faso entre survivance et disparition.

Bibliographie

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royaume du Yatenga, (bassin de la Haute Volta Blanche), Maison des sciences de l’homme et
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TIENDREBEOGO Yamba., O Mogho, terre d’Afrique ! Contes, fables et anecdotes du pays
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africaines, 1964, 141p.


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