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Alain Gomis, Etalon d’Or 2013 : l’humilité et l’exigence chevillées au corps

Alain Gomis, pour qui le cinéma est une éternelle quête intérieure, est le premier Sénégalais à monter sur la plus haute marche du podium au Fespaco

Bien des heures après avoir remporté l’Etalon d’Or de Yennenga du 23-ème Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), samedi, pour son film ‘’Tey’’ (Aujourd’hui), Alain Gomis ne réalisait toujours pas ce qui venait de lui arriver, avouant lui-même qu’il est entré dans ‘’une sorte de tempête’’ en allant chercher son trophée.

Alain Gomis, pour qui le cinéma est une éternelle quête intérieure, est le premier Sénégalais à monter sur la plus haute marche du podium au Fespaco, 44 ans après la création de la manifestation (1969) et 41 ans après l’institution d’une compétition (1972). Mais son humilité et l’exigence qu’il entretient avec lui-même font qu’il ne pense rien ramener à sa personne.

‘’J’avais le sentiment que ce n’était pas moi, on était nombreux, que ce prix revenait à l’ensemble de ces personnes qui se battent pour le cinéma, que c’était l’aboutissement du travail sur plusieurs générations, sur plusieurs corps de métiers’’, a-t-il dit dans un entretien à l’APS, au lendemain de son sacre, ajoutant : ‘’J’avais l’impression qu’on était nombreux. Je pensais au plaisir que beaucoup de gens avaient. J’ai l’impression que ce n’était pas à moi qu’on s’adressait, mais à tout le monde.’’

Son ami Newton Aduaka, cinéaste nigérian, apprécie cette humilité de ‘’quelqu’un qui est conscient de ses possibilités et potentialités et sait en même temps qu’il y a tellement de choses à faire’’. ‘’Le cinéma du Sénégalais est un reflet de la société, mais il va dans les profondeurs de celles-ci pour suggérer ce qui est caché’’, explique Aduaka, lui-même lauréat de l’Etalon d’Or en 2007, avec ‘’Ezra’’.

Alain Gomis construit une carrière de cinéaste depuis une quinzaine d’années. Le cinéma est pour lui un moyen de construire sa personnalité, de traiter de sujets qui lui tiennent à cœur, de montrer des luttes sociales et politiques, de parler de croyances fortes, pas avec des slogans, mais avec des images, des intuitions.

‘’C’est ça le cinéma, sinon c’est du reportage, reprend Newton Aduaka. Il faut essayer de raconter des histoires auxquelles le public peut se connecter émotionnellement. C’est là que quelque chose se passe que les choses peuvent changer. Alain sait bien le faire.’’

Son film ‘’Tey’’, qui a fait ‘’l’unanimité’’ au sein du jury des longs métrages présidé par la réalisatrice Euzan Palcy, est un fabuleux conte sur la vie, même s’il raconte la dernière journée d’un homme, Satché (Saul Williams), qui sait qu’il va mourir et erre dans Dakar.

Samedi dernier, en allant prendre son trophée au stade du 4-Août, Gomis avait subi un vrai choc émotionnel, mais il avait pu trouver les mots justes pour dire le sens de la récompense : ‘’Moi qui suis fait de morceaux de Guinée-Bissau, de France, de Sénégal, je suis très heureux et très fier de pouvoir apporter le premier Étalon d’or au Sénégal’’.

‘’Tey’’ a été entièrement tourné à Dakar, une ville avec laquelle Alain Gomis entretient ‘’un rapport très fort’’. Il explique cet attachement : ‘’Pour moi, c’est la plus belle ville au monde, c’est une ville magnifique. D’abord cinématographique, chaque quartier est un univers en soi. Se balader à travers la ville, c’est se balader à travers différentes planètes. Où que vous placiez votre caméra, il va se passer quelque chose’’.

Le cinéaste qui a été révélé par ‘’L’Afrance’’, son premier long métrage (Prix Oumarou de la meilleure première œuvre en 2003 au Fespaco), ajoute aussitôt que ‘’la richesse du cinéma africain, aujourd’hui, c’est sa diversité’’.

‘’L’Afrance’’, film sur un étudiant sénégalais qui se retrouve du jour au lendemain sans papiers, s’est glissé entre trois courts métrages, ‘’Tourbillons’’ (1999), primé au Fespaco, ‘’Petite lumière’’ (2003), ‘’Ahmed’’ (2006), avant le deuxième long métrage, ‘’Andalucia’’ (2008), l’histoire de Yacine partagé entre ses identités de Français et de descendant d’immigrés venus du Maghreb.

Pourtant, Alain Gomis, né à Paris en 1972 d’un père originaire de Guinée-Bissau et d’une mère française, dans un milieu ouvrier, a mis du temps avant d’annoncer à sa famille, son père surtout, qu’il voulait faire du cinéma. Il ne l’a dit à son père qu’au moment de son premier film, de peur de l’inquiéter.

Gomis a d’abord étudié l’histoire de l’art. Il décroche ensuite une maîtrise de scénario à la Sorbonne, achète une caméra, anime des ateliers vidéo pour la ville de Nanterre où il réalise ce qu’il appelle de ‘’petits films’’, essentiellement sur le sur la jeunesse issue de l’immigration.

Depuis, pour réaliser ses œuvres, il n’a pas eu de gros budgets, mais a rencontré ‘’les bonnes personnes au bon moment’’. Dans la réalisation de ‘’Tey’’, une des ‘’bonnes personnes’’ qu’il a rencontrées sur son chemin est le producteur sénégalais Oumar Sall, responsable de Cinékap, qui a cru au projet de ‘’Tey’’ lorsque tout semblait irréalisable.

Dans ses films, Alain Gomis est face à lui-même : il traite de double culture, d’identité, d’exil, entre autres. ‘’J’ai vu des films qui m’ont appris des choses sur moi-même’’, explique-t-il, citant ‘’Gosses de Tokyo’’, film muet d’Ozu, tourné en 1932, ‘’À l’est d’Eden (1955), d’Elia Kazan, ‘’Crin blanc’’ d’Albert Lamorisse (1953).

Une référence sénégalaise ? Au moment de recevoir son prix à Ouagadougou, Gomis dit avoir ‘’beaucoup pensé’’ au réalisateur Djibril Diop Mambety (1945-1998), ‘’l’enfant terrible’’ du cinéma, qui a imposé une esthétique révolutionnaire dans les années 1970. ‘’Il (Mambety) m’accompagnait. Il fait partie des réalisateurs qui m’ont donné envie de faire du cinéma, qui m’ont intrigué, m’ont ouvert des portes’’, a-t-il relevé.

Le processus de création d’un film fait ressembler Alain Gomis à un sculpteur qui interroge la matière en essayant de lui insuffler une vie, tout en cherchant des évidences auxquelles le public peut adhérer. ‘’Les films me font avancer dans la vie’’, dit-il, en s’empressant d’ajouter que l’inverse est tout aussi vrai.

’’Pour moi, le cinéma c’est trouver des endroits où on est ensemble. Il s’agit de voyager dans un film, de se créer sa propre expérience. C’est un voyage intérieur’’, relève le réalisateur à la longue silhouette, à la voix douce, au verbe clair et réfléchi. Chacun des mots qu’il prononce semble venir d’une sagesse et d’une attitude méditative qui se lisent dans ses yeux.

Ce caractère calme qui lui fait garder les pieds sur terre, malgré le succès de son film ‘’Tey’’ (une vingtaine de prix depuis un an), explique qu’il espère ‘’rester le même’’ : ‘’J’espère garder mes relations, … J’espère que ça ne changera rien (chez lui, dans sa manière d’être), et que ça changera tout (dans la manière dont le cinéma va évoluer au Sénégal, surtout pour les jeunes)’’.

Le film s’appelle ‘’Aujourd’hui’’, poursuit Alain Gomis, avant d’insister : ‘’C’est maintenant, ce n’est pas hier, ce n’est pas demain, c’est le présent. Ce n’est pas regarder en arrière, le passé étant en nous. Ce n’est pas attendre le futur, c’est faire les choses maintenant, tout de suite. Si cet Etalon peut servir à ça, ce sera bien’’.

D’où l’exigence qu’il s’applique dans son travail de tous les jours. Le cinéma sénégalais vient de gagner l’Etalon d’Or de Yennenga et dix autres prix au Fespaco 2013, ‘’mais il ne faut surtout pas se dire que c’est gagné’’, tempère Gomis.

‘’Il faut construire à partir de ça en travaillant deux fois plus, poursuit-il. A partir du moment où on commence à être satisfait, c’est la fin. C’est ce qui me donne envie de faire des films. Il m’est impossible de regarder mes films parce que je ne vois que des problèmes. Et c’est ce qui me donne envie, à chaque fois, de faire un prochain. Le jour où je serai content d’un film, je crois que j’arrêterai.’’

APS


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